Nous avons été inscrits et nous nous inscrivons par la volonté dans ce monde. C'est la seule façon d'exister et nous sommes ici pour exister, ex sistere, être placé en dehors (de soi ?), être debout.
La force qui actionne cette volonté est finie, quantifiable, plus ou moins grande, c'est l'énergie. On peut l'épuiser et l'obtenir simultanément.
On l'épuise à travers soi dans notre ouvrage personnel. Celui-ci nous renvoie une énergie parfois supérieure à celle épuisée, par exemple lorsque l'on fait bien un objet ; et n'est que très peu soumis à la contingence. Mais le seul échange d'énergie par cette voie là nous irradie et paradoxalement nous aliène. La source de ce paradoxe se trouve dans la nature de l'objet. Il est extérieur à nous mais complice de nous-même, comme un partenaire jaloux, attachant et encombrant.
On épuise cette énergie d'une autre façon qui éloigne cet amant malheureux. C'est l'aide aux autres. Tragique ou merveilleux est le retour de cette aide. Quand il n'y a pas de retour aucune énergie ne nous est rendue. Quand il y a retour, c'est à dire quand l'autre prend la même attitude, c'est une merveille. Ce retour est merveilleux non dans le contre-don vis à vis de notre aide, qui serait alors un remboursement, mais dans l'attitude prise par l'autre. Le point de départ de cette volonté d'aider les autres se trouve dans la foi en la sublimation de l'action entre les êtres, le fait qu'un et un fassent trois. Le caractère magique de cela est d'autant plus source d'entrain qu'il est réel, c'est l'amour. On doit toujours y tendre comme une foi, c'est à dire sans attente de retour mais dans l'espoir du retour, et il sera apparent.
Mais il arrive que ce cheminement, cette violence que l'on s'inflige par la volonté, actionnée par la foi, nous épuise quand il n'y a pas de retour. Prenons garde à cet épuisement, connaissons nos limites tout comme celles des autres, car le mental peut toujours porter au-delà de la capacité physique.
Dans le cas d'une aide que l'on donne à l'autre, lorsque l'épuisement est dépassé, on peut continuer à donner de notre énergie, mais celle-ci sera noircie, et noircira tout ce/ceux, que l'on aura touché ainsi que nous-même. C'est comme cela que l'on devient aigri.
Il faut s'arrêter, lâcher toutes les pierres que l'on a porté pour les autres, et retourner au début. À ce moment-là, l'énergie donnée par l'ouvrage personnel est indispensable. C'est aussi par cette nécessité de repli qu'il ne faut pas attendre de retour lorsque l'on aide l'autre, car il peut lui-même se trouver dans cette condition de repli à ce moment-là.
De nouveau dépouillé de tout, mais bien plus léger qu'avant, il faut reprendre ce cheminement dans l'aide aux autres, pour exister aux autres et que les autres existent à nous. Cette reprise est toujours sur le même chemin, et le mur qui se trouvait au bout contre lequel nous nous sommes éclatés sera encore là. Mais la puissance de notre volonté l'a fait reculer.
C'est ainsi que l'on peut mesurer sa grandeur sans aucun orgueil : quelle longueur fait ce chemin, où se trouve le mur, quelle endurance ai-je dans l'aide sans retour ?
Tout le monde peut voir ce chemin, tout le monde souhaite y être sans savoir forcément comment actionner le verrou de la volonté qui permet de s'engager sur le chemin. Si les gens autour de nous et nous-même agissons de la sorte, notre énergie est perpétuellement renouvelée. Là est la clef de la combinaison de l'intérêt personnel et collectif, le sincère désir d'être aux autres dans un monde où les autres sont à nous.